Doctorants : Yu Zhao

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Yu Zhao

Thèse soutenue le 12 novembre 2012

Titre de la thèse

« Du système conceptuel au vocabulaire des théories de l’art pictural en Chine classique »

Résumé :

Dans la pensée chinoise, l’image joue le rôle d’unificateur entre la nature et l’homme, entre le mot et le sens. Elle est la manifestation du Tao. La culture chinoise wen 文se justifie comme image émanée du Tao, et se conforme aux lois naturelles. Cette continuité entre le naturel et le culturel est assurée par l’écriture graphique née de la divination.
Les lettrés, enfants du wen, porteurs et gardiens de la culture, s’excellent non seulement en poésie et en littérature, mais aussi dans la calligraphie et la peinture. Comment peut-on jouer de l’image libre dans un monde envisagé par l’écriture ? En créant de nouvelles images autonomes, est-ce possible pour les artistes lettrés de dépasser l’écriture, à laquelle ils sont destinés ? La pratique de l’art pictural permet-elle aux lettrés d’atteindre cette liberté promise, le Tao ?
Cette recherche tente de répondre à ces questionnements en élaborant un réseau conceptuel de l’art pictural chinois (représenté par la calligraphie et la peinture) à partir des mots clés. Les écrits des lettrés à ce propos sont abondants et malgré leur diversité, toutes ces réflexions forment un ensemble cohérent, appuyé et renforcé par le système conceptuel de la langue chinoise.
Au fond, les trois facteurs de notre sujet – théories, art pictural, lettré – relèvent de la même tradition culturelle, dominée par l’écriture dite idéographique. Les théories écrites ne sont pas un supplément de l’art pictural, mais en font partie intégrante. L’art pictural n’est pas un sous-produit de la tradition des lettrés, mais provient de leur « nécessité intérieure ».
La première partie de cette étude est consacrée aux « conditions de vie » de l’art pictural chinois et de ses théories.
Les grands traits de la source théorique de l’art pictural chinois seraient donc : le Tao en tant que finalité de la technique, l’image en tant que manifestation du Tao, et le sens en tant qu’accès subtil de l’image au Tao. Les mutations des pensées forment un cycle ouvert pour l’art pictural des lettrés : l’art est le processus qui mène au Tao par la technique, la picturalité est l’union entre l’apparence et le principe, et la création est motivée par la voix intérieure de l’artiste.
Comment le Tao fonctionne-t-il, valeur suprême de la culture chinoise, et comment descend-on de l’Origine à la forme, de la nature à la culture ? En Chine, le mythe de la création de l’univers est conceptualisé en un mouvement du Tao originel aux dix mille choses du monde, du Chaos aux souffles dispersés puis à la Lumière. Le Tao qui se déploie à l’infini enveloppe toute tentative de fuite, car il se montre naturel alors qu’il s’agit d’une essence culturelle. La stabilité de la culture classique chinoise est assurée par l’écriture dite idéographique, dont les mythes de l’invention témoignent son lien avec les images indicielles de l’univers. Provenant des pratiques chamaniques, l’art pictural est doté d’une place privilégiée dans la culture chinoise grâce à sa parenté avec l’écriture.
Le système fonctionnel du corps humain s’inscrit dans celui de l’univers. A l’image des saints nés de l’union entre dieux et humains, les hommes ordinaires ont eux aussi une part céleste et une part terrestre. Le cœur, siège du souffle-esprit, est aussi maître de toutes les fonctions physiologique et psychologique du corps. Dans une telle conception, L’homme reste un animal sensible, mais ses sensibilités sont cultivées, canalisées. Le bouddhisme apporte quant à lui une nouvelle vision du corps humain. Ses vocabulaires ont pénétré peu à peu la langue des lettrés, et en témoignent quelques notions inter-conceptuelles dans leurs écrits.
La deuxième partie de notre travail est destinée à l’art pictural proprement dit, sur les caractéristiques de son évolution, de ses théories et de son rôle dans la société chinoise.
D’un point de vue synchronique, la structure profonde de la pensée chinoise est demeurée relativement stable. Pourtant, la calligraphie et la peinture chinoises en tant qu’arts des lettrés ne sont pas fondées directement sur des pensées primitives, confucéenne ou taoïste. Elles se sont développées grâce à des mutations de pensée, notamment sous l’influence de l’école des Mystères, puis celle de l’école bouddhiste chinoise Chan.
Quand le lettré déplace son intérêt de la calligraphie à la peinture, il va de la contrainte de l’écriture à la liberté de la composition, de l’expression des émotions à celle des idées. Comme preuve, l’art pictural est relié à l’écriture par l’art de la composition et traduit cet attachement sous forme d’épigraphe poétique ou de réflexion sur l’art.
Les théories rédigées par les artistes lettrés eux-mêmes ferment une boucle en justifiant un art du pinceau par un autre art du pinceau. L’appréciation, l’apprentissage et la création de l’art pictural sont intimement liées : ces écrits ne sont pas seulement des spéculations externes à la pratique, mais en font partie intégrante, accompagnant les intérêts principaux des artistes lettrés : la recherche technique et la quête spirituelle.
L’image du chemin et du cheminement y est omniprésente : de l’application correcte des règles à la création spontanée, libre ; de la ressemblance formelle à la ressemblance spirituelle ; de la splendeur plaisante aux yeux à la saveur subtile qui emmène le lecteur loin dans le voyage des sens. Au fond, tout revient à la question du « cœur » : cœur en tant que siège du souffle et de l’esprit, union de la part culturelle et de la part naturelle de l’homme, repère ultime de toute création et captation artistique.
Dans une culture élitaire où la langue écrite l’emporte sur la langue orale, où le texte ne cesse de monter en puissance, la calligraphie et la peinture sont des domaines pour les artistes lettrés qui s’expriment par le langage pictural. Mais ces expressions sont canalisées : pour les Chinois, la liberté ne serait acquise qu’après la naturalisation complète de la culture chez l’homme. Ou bien, elle prend forme de refus, d’échappement, mais échapper aux lois établies est en quelque sorte une manière de retrouver le Tao à un niveau supérieur.
Par ailleurs, les artistes désinvoltes ou en retraite sont tolérés par l’autorité impériale, car ils contribuent malgré eux à la validation du Tao, fondamentale pour la stabilité sociale. L’autoritarisme du pouvoir étatique va ainsi de pair avec la liberté de l’art pictural, dont la force se dissout dans l’écriture esthétisante et dans les paysages oniriques.
L’artiste lettré a finalement opté pour l’écriture, le texte, la culture. Il en résulte que, non seulement la politique est dissociée de l’art pictural, mais en plus la pratique artistique du lettré est distincte de sa carrière politique.
L’art peut-il empêcher l’homme de se tourner vers son origine, ou bien permet-il l’accès au véritable éveil ?