Workshops « À condition d’en sortir » à la NTUA (Taipei)

31 octobre – 4 novembre 2011. Workshops « À condition d’en sortir » à la NTUA (Université nationale des arts de Taiwan à Taipei)

Question 1
Pourquoi la forme de workshop devient-elle de plus en plus importante, au point d’être considérée comme faisant partie de l’ensemble création / exposition dans les plates-formes importantes d’art contemporain ?

JLB : En proposant de mettre l’accent sur l’expérience et sur l’expérimentation, nous donnons la priorité au processus plutôt qu’au résultat, nous voyons le workshop comme un moment artistique exemplaire qui tend à réduire, au moins provisoirement, la distinction entre auteur et public. Cette forme n’est pas étrangère à notre critique du rapport création/technologies tel qu’il s’est imposé internationalement. Elle est l’occasion d’une mise au grand jour et à la discussion d’une relation inventive entre techniques, instruments et propos, fondée sur le croisement des savoirs (l’« indiscipline »).

YHW : L’attrait actuel pour la forme du workshop est lié à un changement notable de la production de l’art. La vitalité de l’art contemporain ne se limite pas à l’exploration de nouveaux objets, mais elle est aussi d’inventer un nouveau processus de production. Le workshop se constitue, grâce à l’activité des participants, en un espace pédagogique et flexible, et forme une petite communauté de recherche. Il répond effectivement à cette revendication de produire le savoir artistique en live, à un échange entre l’artiste-intervenant et les participants construit à partir des sentiments éprouvés durant le processus.

Question 2
Comme nous nous intéressons aux arts et aux nouveaux médias, comment établissons-nous des relations entre art et technologie? Malgré tout, nous avons déjà procédé à une disciplinarisation entre l’art et la science.

JLB : Les nouvelles technologies peuvent favoriser le renouvellement, voire la sortie des disciplines artistiques classiques. Cependant, elles tendent à un enfermement dans la technique pour elle-même et présentent donc un risque d’illusion de changement. Le partage entre sciences, art et philosophie ne relève pas d’une disciplinarisation mais d’une distinction nécessaire entre registres de la connaissance et de la subjectivité.

YHW : La pensée esthétique occidentale lie toujours intimement le poeïsis (auto-production / œuvre) et le technè dans une relation de superposition. Le technè ne réside pas seulement dans la connaissance du processus de fabrication, mais aussi dans la capacité à produire le langage artistique, y compris au moyen de la technologie qui permet l’application de l’automatisation. Nous sollicitons le questionnement politique au sein de l’art pour le technè. Comment procéder au renouvellement critique du régime esthétique conventionnel d’un réseau de pouvoir traditionnel par sa capacité médiatique? Comment éviter de verser dans le techno-fétichisme ?

Question 3
Pourquoi donnez-vous le titre « À condition d’en sortir » à ce workshop sur l’art et les nouveaux médias? Cette expression française semble contenir un sens contradictoire, voire résistant ?

JLB : « À condition d’en sortir » signifie un rapport de l’art aux nouvelles technologies qui fait allusion aux expressions françaises du genre : « La logique mène à tout, à condition d’en sortir », « Le journalisme mène à tout, à condition d’en sortir », etc. Plutôt que d’un « art des nouveaux médias », ou, ce qui n’a pas vraiment de sens d’un « art numérique », on pourrait parler d’un art de l’époque des nouveaux médias, ou des conditions numériques.
— Il s’agit donc de dire ironiquement qu’il ne faut pas s’enfermer dans les nouveaux médias, tout en en tenant pleinement compte, car on ne peut pas envisager une création qui ne proposerait pas un renouvellement de ses techniques et de ses formes. L’invention d’instruments et de méthodes peut être vue comme relevant à part entière de l’art. 
D’une façon générale, « À condition d’en sortir » pointe la nécessité d’un dépassement, y compris de ce qui semble nous qualifier ou nous intéresser le plus.

YHW : Ce titre est très « Godard », il signale la couleur que nous voulons donner à ce workshop. Nous essayons de disposer l’art des nouveaux média sur une plateforme politico-esthétique et y inclure le cinéma, le théâtre, la photographie, la littérature et l’architecture. Nous désirons interroger comment l’écriture des nouveaux média sublime la frontière entre les arts dans l’articulation médiatisée du sensible. Il s’agit de recomposer intentionnellement une membrane avec les particules du sensible des disciplines traditionnelles.
— Le workshop « à condition d’en sortir » est créateur dans sa propension à penser l’Histoire de disciplines, avec ses conventions et ses normes. Si nous ne nous concentrons pas sur cet héritage nous perdrons cette conscience. Cependant, ce rapport avec l’histoire impose de prendre une certaine distance. L’enjeu attribué aux nouveaux médias serait de créer des passerelles hétérogènes entre les arts.

Question 4
Depuis l’année 60, sous l’influence de l’Art total dans l’histoire avant-gardiste, l’art interdisciplinaire était déjà beaucoup exploré et discuté. Est-ce que le titre de « À condition d’en sortir » indique une sorte de retour à cet esprit, ou propose autre chose?

JLB : Il ne s’agit pas à proprement parler d’interdisciplinarité et encore moins d’Art total. Les workshops entendent plutôt mettre en œuvre une liberté et une ouverture qui appellent des croisements intelligents et critiques. En ce sens, on pourrait viser une a-disciplinarité. De façon apparemment paradoxale, « en sortir » indique aussi des points de référence conscients — la tradition, la discipline, la technique —, dont le projet peut « se sortir », c’est-à-dire à la fois « faire avec », émerger et s’émanciper.

YHW : L’utopie nous a quittés. La revendication de l’élargissement dans nos cultures ressemble aujourd’hui à une propagande visant à l’hégémonie. Au contraire de l’Art total, nous adoptons l’esprit écosophique de la réalité, la condition post-historique des arts. Pour arriver à en sortir, nous devons explorer de nouvelles tactiques esthétiques. Nous proposons un double-mouvement sous l’effet d’une attitude auto-critique et émancipatrice et de l’académisme afin de transcender les disciplines.